Il y a les fois où on va grimper. Il y a les fois où on va grimper au Verdon.
Je suis fou de cet pureté : la petite route qui serpente depuis Moustiers, les gorges qui se creusent peu à peu, la vieille bergerie posée au milieu de son pré face au vide, les amandiers, les odeurs de thym, les indiens de La Palud, la fontaine si fraîche face à l’église, les ruches qui bourdonnent, la promesse de journées mémorables. Alors on prend la route de droite, « la route des crêtes » comme disent si bien les cartes. On la connaît par coeur mais on fait semblant de rien, comme si on venait là pour la première fois : le regard porté un peu plus loin qu’habituellement pendant que l’on conduit, à guetter quelque chose que l’on sait apparaître d’un moment à l’autre. La première épingle se profile et là d’un coup le canyon nous saute à la gorge, face à nous, sous nous, partout, sans prévenir. Pris par fausse surprise. Du rocher gris, du rocher jaune, des bombés, des dalles, des murs à n’en plus finir, des baumes, le torrent qui gronde tout en bas, le souffle qui nous saisit lorsque l’on passe la tête par dessus les parapets, le regard qui se perd, quelques vautours qui planent et nous qui sommes là, tout frétillant et frémissant à la fois. Verdon, mon amour! « Je suis fou. Je suis fou de cette pureté » (Ch . Bobin)
Si parfois trop de choix tue le choix, ici c’est l’inverse : l’abondance de choix est le carburant. Et toujours cet émerveillement, cette envie irrépressible d’y passer 10 vies pour tout faire, pour picorer chaque miette de rocher, chaque longueur de cet endroit unique. Sans forcément les envier, je comprends pourquoi certains y ont voué leur vie, ou une partie de leur vie. C’est comme une religion ce truc là, ça vous marque à jamais des existences. Sauf que je préfère le coton stretch à la robe du bure, et la bonne bière sur le lapiaz chaud à l’eau bénite.
Selon l’envie du moment, selon les récits des copains, selon l’état de ses pieds, on feuillette la bible en quête de projets. Puis, le choix se précise, le choix s’affine, les recherches deviennent pointues. A chaque fois les deux mêmes questions : « accès » et « cotation obligatoire ».
Accès : par ce que quand tu te retrouves pendu en fil d’araignée dans le vide à 5 mètres du bout de ta corde, que de part et d’autres les bombés calcaires sont aussi beau mais aussi lisse que des culs, et qu’entre toi et le fond des gorges volent malicieusement les vautours en te faisant de l’oeil et en t’invitant au grand saut, et que comme un bleu tu t’es persuadé depuis le haut que tu étais au bon endroit… alors tu te dis que c’est pas gagné et que tu aurais mieux fait de bien choisir la bonne ligne de rappels et de mieux lire le topo, voire le terrain.
Cotation obligatoire : car quand tu te retrouves sous ces mêmes lisses et jolis cul grisés, parsemés de crispettes infâmes, les pieds en feu et la pulpe aux abois, que le spit de 10mm que tu crois apercevoir tout tout tout tout là-bas te paraît aussi loin que le spit de 10mm que tu as clippé il y a longtemps déjà tout tout tout tout là-bas, lorsque fiévreusement tu zyeutes entre tes pieds pour t’assurer que tu es bien seul au monde, engagé sur cette #%%§!!!…## de dalle alors que ton partenaire pénard au relais fume des clopes, prends des photos ou like sur FB … alors tu te dis que tu aurais mieux fait de te la jouer modeste plutôt que de vouloir impressionner la blonde qui t’accompagne cette fois-ci.
Toute ressemblance avec des situations vécues serait fortuite.
Dans la famille « Verdon Aventure », les copains choisissent la Guy Héran. Pour ne pas nous entasser aux relais, nous choisissons donc « Naziaque » : de l’artif facile, du libre pas facile, des pas sur crochets, des étriers bien utiles, des sangles dans tous les sens, du rocher bien Verdon, des pieds en feu… Ma foi, de quoi se rassasier copieusement avant le dessert du lendemain. Une nuit de repos et nous partons dans « Les extra terrestres », une voie classique des Remy’s brothers et partiellement rééquipée. Du Verdon 4 étoiles, du rocher gris à gouttes d’eau, du rocher ocre sculpté à foison, du gaz, des relais infâmes d’inconfort, mais une voie tellement belle…
Allez : no bla bla, just climb! Plus d’1 an après la dernière, il était temps!
Naziaque et Les extra-terrestres au Verdon – Infos pratiques :
« Naziaque » (280m, ED 7a+>6b A1) – Belle voie mais un peu déroutante : de l’artif facile sur des points en place, mais où la qualité vétuste des-dits points ne donne pas franchement envie de tenter le libre et de se prendre des vols… Pour L3, 2 pas consécutifs sur crochets et pour L6 dernier pas d’artif un peu taquin (attention au retour au sol si ça lâche). Nous avons utilisé un jeu de C4 jusqu’au #3 et des Stoppers jusqu’au micro. Pitons et marteau nous ont paru bien inutiles. Départ évident facile à trouver.
« Les extra-terrestres » (160m, ED- 7a>6b+) – Une voie très belle quand en la parcourant depuis le bas. Les deux premières longueurs sont partiellement équipées (prendre un jeu de stoppers) et magnifiques. La suite est équipée « Verdon » et tout aussi belle, à l’exception des 5 mètres communs avec « l’éperon sublime » dans L6 (une patine effroyable). A noter que laisser les baskets en haut est vraiment une bonne option (que nous n’avons bien évidemment pas suivie) : au bas des rappels, on marche 20 mètres pour trouver le départ de la voie et celle-ci sort juste à coté de la ligne de rappels.