Pointe du vallon des Etages, voie Fourastier : du grand Oisans !
Mes envies d’alpinisme naissent rarement de la simple lecture d’un topo. J’ai besoin de voir avant de croire. Voire une montagne, voire une face, la trouver belle, attrayante ou pas. Et puis ensuite vient le temps du topo, de la voie, et de la réalisation. Cette pointe du Vallon des Etages me faisait envie depuis longtemps, depuis le jour où je l’avais vue à la faveur d’une virée sur le versant opposé. J’avais alors regardé les topos, et dans la bible des « 100 plus belles » je découvrais que l’évidente diagonale rayant sa face nord abritait une voie « Fourastier ». La promesse d’une belle aventure, connaissant un peu les voies dénichées par le bonhomme dans l’entre deux guerres.
En 2016, une visite au couloir nord de la tête de l’Etret me faisait déjà sérieusement loucher sur la pointe du vallon des Etages et sa voie Fourastier; un coup à se planter une piolet dans l’oeil. Depuis, cette Fourastier restait tapie dans un petit coin de ma tête, attendant patiemment son tour. Quel pouvait donc être le meilleur moment pour y aller? C’est toujours un petit jeu intéressant que d’imaginer les bonnes conditions dans ce genre de voies pas franchement à la mode, où les sorties sur C2C ne s’empilent pas les unes sur les autres. Et c’est tant mieux. Il faut donc essayer de faire preuve d’intelligence, mais ça on sait faire (?!).
J’imagine qu’avec les chutes de neige d’il y a 3 semaines, la glace a dû se former. Quelques orages depuis ont dû peaufiner le travail … c’est le moment! Et puis une virée en Oisans ça ne se refuse jamais.
Que je les aime ces ambiances : un petit hameau niché au bord du torrent qui gronde, un vieux loquet sur un portail en bois que l’on referme après être passés, et un petit sentier qui monte dans le sauvage vallon des Etages. On est si loin de la cohue chamoniarde, si loin… On monte doucement en s’imprégnant peu à peu des lieux, à moins que ce soit aussi à cause du poids du sac. Et puis la Pointe du Vallon des Etages apparait, nichée au bout de cette vallée : un coup d’oeil rapide laisse entrevoir des coulées de glace / neige ici et là. En son centre la grande diagonale de la voie Fourastier est remplie, comme attendu. Les conditions semblent bien au rdv, bingo!
Face nord de la Pointe du Vallon des Etages le 01/06/2020
Alors il ne nous reste plus qu’à nous installer et à oeuvrer. Comme nous sommes en mode « ultra-traine » nous prévoyons de rester là 2 nuits : la veille de la course et, prudents -nous connaissons les descentes en Oisans…- le soir au retour de la course. Bien nous en prendra!
Un petit carré d’herbe, quelques blocs où l’on regrette les crash pads, de l’eau à proximité et des marmottes : bienvenue dans la cohue des Etages.
La suite est un peu moins bucolique : lever à 2h45, départ à 3h30, attaque de la voie à 6h00 après une remontée des grandes pentes de neiges regelées à souhait. La voie démarre par 3 longueurs de 5+ qui secoue un peu, d’autant que le rocher bien froid du matin a tôt fait de transformer nos doigts en boudins insensibles. Un délice!
La suite, dans les conditions du jour, déroule assez bien : de grandes pentes de neige/glace posée sur des dalles, agrémentées de courts ressauts de mixte. Bien entendu, on imagine aisément la misère que pourrait devenir cette section en neige inconsistante…
On entre alors dans les goulottes de la partie supérieure de la voie. Sans doute qu’à l’époque de Fourastier (1935) il s’agissait d’avantage d’un fin couloir de neige… Mais 90 ans de réchauffement sont passés par là, et aujourd’hui c’est une magnifique et fine goulotte de glace qu’il s’agit de négocier, où placer des protections est finalement plus complexe que la grimpe en elle-même. Quelques broches (courtes) peuvent être placées, mais sinon c’est micro coinceurs ça et là sur les rives, dans du rocher plutôt compact.
L’ambiance est absolument démente, avec de nombreuses étroitures à négocier, des plaquages fins sur les rives et un encaissement au coeur de cette grande faille qui raye la face. Très clairement, il faut grimper précautionneusement car les protections sont bonnes mais espacées, et la glace impose souvent de grimper léger… Idem pour faire relai, ce n’est pas toujours simple et même avec 2*60m, la grimpe à corde tendue s’impose. Compter 2 bonnes longueurs sérieuses.
Puis la faille s’ouvre à nouveau pour déboucher dans les pentes sommitales, où là encore sans être technique la progression peut vite devenir abjecte si les conditions ne sont pas au rdv : plaquages sur dalles, ni plus ni moins… Plus on monte, plus c’est facile et on à la joie a cette saison de prendre le soleil pour les dernières longueurs de mixte. Magnifique!
Sommet de la Pointe du Vallon des Etages, voie Fourastier : il est 14h00 et la deuxième partie de la voie ne fait que commencer … Par principe, quand on est en haut on est pas en bas, et c’est encore plus vrai en Oisans. L’arête nord-est utilisée pour descendre n’a rien de compliqué, mais c’est juste un gros tas de cailloux qui ne demandent qu’à tomber. Du bel Oisans comme on aime! Pas de photo, il fallait speeder avant la pluie… Quelques désescalades et mini rappels plus tard, nous sommes au point bas de l’arête. Nous tirons 3 rappels dans le versant nord pour prendre pieds sur le glacier : terrain putride de chez putride, grésil, brouillard, rochers branlants, pluie… De la montagne ou je ne m’y connais pas!
C’est donc trempés comme des soupes mais contents que nous retrouvons notre tente à 21h00. Les sacs sont vite planqués sous un bloc et on se jette à l’abri de la toile pour savourer une soupe chaude et nous glisser dans nos duvets. Dément.
Cette course est magnifique, classique et tellement moderne à la fois par le style qu’elle impose. Dans un autre genre, elle me fait penser à la Pierre Allain en face sud de la Meije : ancienne mais indémodable. Ça cote TD mais c’est du bon TD, avec un vrai engagement (sortie par le haut obligatoire). Elle mériterait certainement d’être d’avantage parcourue mais, allez savoir pourquoi, elle n’est pas à la mode. Dont acte, on s’en délecte quand même. Merci les copains, magnifique virée!
Pointe du Vallon des Etages, voie Fourastier – Infos techniques :
Matériel : 2*60, 6 broches courtes, Camalots jusqu’au #3 avec beaucoup de petits (les Z4 ont fait merveille!)
Montée RAS, avec peut être une paire de chaussons bienvenus pour le leader dans les 2 premières longueurs. A froid ça pique un peu
Descente : on suit l’arête nord-est plutôt sur son fil ou versant sud. Au premier tiers, un rappel de 30m est conseillé pour descendre un petit couloir de neige/glace (cordelette / sangle en place, bien visible en arrivant du haut). Aux pieds de ce rappel, une vire (cairns) permet de rejoindre à main gauche l’arête pour revenir sur son fil. Au point le plus bas de l’arête (repérable la veille depuis le CB) il est possible de descendre en rappels versant nord. De ce point bas, on aperçoit en contrebas un relais à 40m, rive droite, (2 pitons changés mais rocher douteux). Le rejoindre pour rappeler la corde, sans tout se prendre sur la tête puisqu’il est désaxé. De ce relai , rejoindre ensuite le « vrai » relai de descente (bien visible quasiment à la même hauteur, rive gauche, 2 pitons) par une courte traversée à peine descendante. On est à nouveau dans l’axe du couloir. (NB : ce relais peut s’atteindre directement du haut mais alors attention aux pavés en rappelant la corde). De là, nous avons fait un nouveau rappel de 60m en passant rive droite d’un épaulement en fin de rappel. Sous cet épaulement et à bout de corde, nous avons laissé un bon piton+mousqueton qui permet un dernier rappel de 45m pour rejoindre le glacier.
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